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SHOAH EN MEMOIRE
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1 mai 2010

Etude locale : Les Juifs à Ancenis (Loire-Inférieure) pendant la deuxième guerre mondiale (chapitre 2)

Chapitre 2

Comment circonscrire nos recherches géographiquement ?

L’arrondissement d’Ancenis a été supprimé en 1926 et il n’a été rétabli qu’en 1943. Au moment des grandes rafles de 1942 le pays d’Ancenis est donc inclus dans l’arrondissement de Nantes, département de Loire-Inférieure.

Doit-on opter pour l’arrondissement même si cela nous prive de la commune de Mauves-sur-Loire où les sources sont plus abondantes ?

L’arrondissement d’Ancenis comprend actuellement les cantons suivants : Ancenis (chef-lieu)  - Ligné – Riaillé - Saint-Mars-la-Jaille – Varades.

-          Les ouvrages historiques qui vont nous aider à repérer les grandes lignes de cette histoire tragique et vont nous aiguiller vers les sources qu’il convient d’explorer.

La première étude sur les Juifs de la région nantaise date de 1994 : Etre juif à Nantes sous Vichy ; l’ouvrage d’Annie Lambert et de Claude Toczé dépeint une petite communauté juive ancienne (la synagogue Copernic est achevée en 1869), qui va très vite grossir juste avant la guerre sous l’afflux des réfugiés étrangers venus d’Allemagne et d’Europe centrale et orientale.

Les réfugiés juifs fuyant les persécutions nazies espèrent gagner le continent américain. Ils se retrouvent dans la région de Saint Nazaire comme dans un goulet d’étranglement. De plus en plus nombreux à arriver et de moins en moins nombreux à pouvoir partir. En effet dès mai 1939 les réfugiés juifs en partance pour Cuba, ou pour le Mexique…sont refoulés par les gouvernements qui refusent de les accueillir et le paquebot « Flandre » fait demi-tour et les ramène à Saint Nazaire !

Claude Toczé publie aux PUR  en 2006 avec la collaboration d’A. Lambert, un deuxième ouvrage plus ambitieux, Les Juifs en Bretagne (Vème-XXème siècles), nous permet d’élargir et d’approfondir notre recherche.

-          Les mesures discriminatoires envers les Juifs :

Les Allemands prennent possession de « la zone occupée » et ils y introduisent une législation qui ressemble à celle qui existe dans le Reich.

Vichy va faire de même dans sa zone, en l’accentuant parfois. Ainsi, la loi de Vichy du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs, donne une définition qui aggrave le statut proposé par les occupants allemands. A la définition : « est considéré comme Juif quiconque appartient ou a appartenu à la confession juive ou descend de plus de deux grands-parents juifs », la loi de Vichy intègre les « demi-juifs » alliés par mariage, et insiste sur la définition raciale : « Est regardé comme juif /…/ toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif ».

Les certificats de baptême catholique ne sont généralement pas suffisants puisque la définition est devenue raciale.

Enregistrement, spoliation, ségrégation des Juifs : Les trois objectifs sont concomitants. Il s’agit d’avoir une population juive démunie de tout, sauf d’un petit bagage, et prête à être embarquée dans des trains…

L’affiche « Entreprise juive » doit être apposée sur les commerces etc.P1010792

La discrimination est en marche …

La collaboration de l’administration française va aider l’occupant à appliquer les mesures discriminatoires.

Le recensement des Juifs s’opère rapidement au cours du mois d’octobre 1940 :« Chaque juif doit se présenter /…/ au sous-préfet de l’arrondissement de son domicile ou de sa résidence habituelle en vue de son inscription sur le registre des Juifs. » Les Juifs français sont également recensés ; le fait qu’ils soient parfois d’anciens combattants, comme Max Bernard et qu’ils aient été décorés par patriotisme n’est pas pris en compte.

Les étrangers de la région d’Ancenis sont majoritairement Polonais, c’est le cas des Juifs arrêtés à Ancenis : Salli Rewizorski et Chana Zylberberg.

La ségrégation devient visible avec la délivrance par la préfecture d’une « carte d’identité pour les Juifs » portant un signe distinctif, un timbre rouge avec la mention JUIF.

La marginalisation des Juifs est d’une redoutable efficacité : elle consiste à leur interdire d’exercer une profession, c'est-à-dire de les empêcher de gagner leur vie, et de les spolier de leurs biens.

L’aryanisation économique, bien montrée par  Claude Toczé et Annie Lambert, est moins connue que l’ensemble des autres mesures d’exclusion. « L’aryanisation économique va être fixée par 56 ordonnances allemandes, lois et décrets de Vichy publiés entre 1940 et 1944, avec un pic en 1941 où paraissent 42 textes traitant de l’exclusion des Juifs du tissu économique »  p 178-179,  in « Les Juifs en Bretagne ». Ainsi que le montrent ces auteurs, le « vol d’Etat » qui s’opère prouve le rôle essentiel joué par de nombreux Français dans ce dépouillement planifié.

P1010746Les dénonciations (voir document anonyme des ADLA 1694 W), les administrateurs provisoires nommés pour gérer ces biens en attendant leurs nouveaux acquéreurs, les chambres de commerce, les fédérations syndicales, jusqu’à l’université ou l’Ordre des médecins nouvellement créé…tous concourent à l’épuration puis à l’éviction pure et simple, ainsi que le mentionne avec satisfaction la presse collaborationniste (voir exemple Ouest-Eclair du 24 aout 1940 « le pays a accueilli avec soulagement cette mesure de salut public : des rebuts des universités d’Europe cessent d’exercer leur néfaste activité.. »).

P1010776La radicalisation se poursuit à la fin de l’été 1941.Le contrôle par l’Autorité allemande des déplacements de la population juive est de plus en plus sévère. Les Juifs sont expulsés de la zone côtière en novembre 1941.

A partir de février 1942 ils sont véritablement en résidence surveillée ce qui rend de plus en plus difficile leur fuite éventuelle. La 6ème ordonnance allemande indique qu’«  Il est interdit aux Juifs d’être hors de leurs logements entre 20 h et 6h.Interdiction de changement de résidence ». Leur compte en banque est bloqué par l’administration qui leur alloue ensuite « des subsides d’absolue nécessité ».

Enfin, la décision émanant de la 8ème ordonnance allemande concernant les mesures contre les Juifs est publiée le 1er juin 1942 et entre en vigueur le 7 : « Il est interdit aux Juifs, dès l’âge de six ans révolus, de paraître en public sans porter l’étoile juive ; elle est en tissu jaune et porte en caractères noirs, l’inscription « Juif ». Elle devra être portée bien visiblement sur le côté gauche de la poitrine, solidement cousue sur le vêtement./…/ Les infractions à la présente ordonnance seront punies d’emprisonnement et d’amende ou d’une de ces peines. Des mesures de police, telles que l’internement dans un camp de Juifs, pourront s’ajouter ou être substituées à ces peines ».

Le piège s’est refermé : les arrestations et les rafles vont en être facilitées. 

Arrestations et rafles :

La très importante rafle du 15 juillet 1942 se fait avec l’accord du préfet de Loire-inférieure qui est prévenu de « l’opération » dès le 13. Les procès verbaux des gendarmes ou des commissaires nous renseignent sur les personnes arrêtées, des étrangers, des « apatrides » de 16 à 45 ans qui sont déportés à partir d’Angers vers Auschwitz. Le 22 juillet les autorités précisent que certaines personnes n’ont pas été trouvées à leur domicile et on apprendra à la Libération qu’elles ont été prévenues (à Mauves en particulier).

Au total il y eu 98 arrestations qui donnent lieu à une « certaine émotion » dans la population ainsi que le signale le préfet  dans son rapport mensuel au ministre de l’intérieur le 1er septembre 1942 ; il ajoute que les « mesures prises contre les juifs les ont fait prendre pour des martyrs ».

Les contrôles se poursuivent après les rafles de juillet et l’étau se resserre autour de ceux qui ont échappé aux premières arrestations.

P1010730Les arrestations s’élargissent aux Français de religion juive et elles se poursuivent en février 1943 jusqu’en janvier 1944 où 17 personnes sont arrêtées à Nantes, 13 à Châteaubriant…ce sera la dernière rafle de la région nantaise et le préfet estime en mai 1944 que « les quelques juifs qui restaient encore en Loire inférieure ont été appréhendés et acheminés vers une destination inconnue » (ADLA).

Au total 212 Juifs recensés en Loire-Inférieure ont été déportés vers Auschwitz, Sobibor, Kaunas (camps d’extermination). Parmi eux, 29 enfants et adolescents de 2 à 16 ans qui n’ont pas survécu. (in Les Juifs en Bretagne, opus cit. p 426).

Nous avons recensé deux personnes arrêtées à Ancenis : Chana Zylberberg déportée par le convoi n°7 et Salli Revizorski déporté par le convoi n° 8, respectivement le 19 et le 20 juillet 1942. Il resterait à consulter d’autres archives, par exemple les délibérations du Conseil municipal d’Ancenis, pour approcher les préoccupations des Anceniens sous l’Occupation.

Catherine Gadeau

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