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SHOAH EN MEMOIRE

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5 juillet 2010

Mur des noms : l'empreinte des déportés juifs d'Ancenis

L'immense mur des noms du Mémorial de la Shoah à Paris conserve le nom des juifs morts en déportation.

L'espoir que leur souvenir ne s'efface plus, et que les générations futures pourront, après nous, les trouver encore.

Nous y retrouvons avec émotion les noms gravés de Salli Rewizorscki et de Chana Zilberberg :

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15 juin 2010

L'Instituteur

Avec la destruction de mon peuple, j'ai déjà fait la paix...

Mais la destruction des petits enfants de mon peuple, je ne l'ai pas encore acceptée.

Chaque jour j'enseigne à trente élèves de ma classe.

Soixante yeux me regardent chaque jour, comme on regarde quelqu'un qui sait tout...

Et soixante petites mains sont tendues vers moi, confiantes.

Et quand je m'écrie : "En rang!"

soixante petites jambes se mettent à courir.

Et c'est pourquoi sans doute,

il me semble que j'ai devant moi, chaque jour,

non soixante, mais six cent mille yeux d'enfants,

que je n'ai pu sauver.

Six cent mille jambes d'enfants,

des mains maigres, brûlées,

s'agitent devant moi dans l'air,

demandant le droit de parler...

Yitshak Chalev

(Ce poème a été choisi par Isabelle  David)

29 mai 2010

TERMINUS

Six heures trente à ma montre. Nous sommes le matin, et comme si c’était important, je marque dans un coin du bloc note « arrivé à la gare à six heure et demi, faim, soif, cadavres». Ils n’ont pas encore ouvert les portes, mais le train s’est stoppé, encore. Seulement, quelqu’un scrutant le dehors à la fenêtre a soufflé « Terminus ! ». Arrivé à l’autre bout du monde, au bord du monde, comme si la Terre était plate, nous y sommes enfin ; où ? Je n’en sais rien, loin de chez moi, loin de chez nous, c’est tout ce que je sais. D’un coup, même s’il fait encore nuit, ils ouvrent enfin, aveuglant notre curiosité. « Ils », ce sont les petits soldats, attroupés autour, comme assiégeant les wagons.Dans ce trou à rat, la lumière se fait rare, et l’obscurité nous a rendu myopes comme une taupe. Si aveugles que personne n’a pu voir, pendant le voyage, l’autre d’à côté qui tombe avec quelques convulsions à peines gênantes à nos pieds ; la mort est silencieuse, surtout lorsqu’elle est assoiffée. Mais passons, oui passons, ça vaut mieux, car ce n'est pas comme s'il fallait s'apitoyer sur notre sort, on l'a bien compris. Je ne veux plus y penser, plus penser à la possibilité que ces quelques cadavres auraient très bien pu se mêler à ma petite Eleanor, dans sa jupe, coiffée d’une tignasse brune couronnée d’un ruban; « un bel œuf de pâque » taquinait Nathan. Comment peut on faire de mal à un si bel œuf de pâque, elle est à croquer, mais pour eux, croquer ou tuer, ça n’existe pas, rien n’existe, pas même nos enfants. En somme, lessivé est le mot, je suis lessivée de ce voyage, si c’en est un, qui titube, dodeline le fer par son tambour et qui n’arrête jamais de faire tourner la lessive ; une lessive qui shampooine de plus belle, et le wagon finit par se remplir de bulles. Dans la tête de tous, il y a ces bulles qui rendent les gens soit fous, soit indifférent, et pour certains, c’est la même chose. Lorsque la grande machine de ferraille arrête de tourner, ouvre sa porte, comme là, c’est comme si la lessive en ressortait à flots, dégoulinant presque d’une couleur rouge, avec quelques raides vêtements propres, propres de leurs soit disant crasse ; d’autres, comme moi, sont toujours là, lessivés, mais toujours là.

On dit souvent que c’est le premier regard qui compte, la première impression. Ici, au premier rang, à l'ouverture des portes, je ne vois qu’une poignée de soldats, une brume ferroviaire, et c'est à peine si j'aperçois l'horizon, ce qu'il y a de caché un peu plus loin, dans le dos des SS.

La marche est haute, quelques uns trébuchent, tombent, ceux sont surtout les plus à plaindre par leurs faiblesses, mais personne ne les aide, pas même le garde juste à coté qui ne fait qu’aboyer, et d’ailleurs, en y réfléchissant bien, pas même moi. Non, même pas, je préfère faire semblant, remontant le petit col de ma fille; c’est préférable, je ne sais pas pourquoi. Pourtant, il y a un petit groupe de jeunes, frais d'une vingtaine d'années, qui en sortant du wagon, déposent, un à un, au dehors, côte à côte, poliment, les petits ou vieux cadavres sur la neige. Mais ici, sachez le, la neige n'a pas de honte, elle ne rougit pas, il n’y a pas de sang, ils ont eu le temps de cailler dans le train, ou sur nos genoux avec la bouche ouverte de famine, avec, quelque fois, un bébé enveloppé dans la robe de sa mère qui ne crie plus, « enfin ! ». Alors ce genre de choses, entre les tôles de la SNCF, ça reste entre nous ; personne n’en parle. On pourrait se plaindre, crier la lutte ouvrière, du haut de notre majestueuse Marseillaise, mais allez chanter ça à des fusils. C’est impossible, ils sont sourds, ils n’entendent que ce qu’ils veulent.

Après tout, nous serons mieux ici, c’est pour notre bien qu’ils disent, et on finit par les croire, c’est le principe de la publicité; ça ne peut pas être pire qu’en ville. Alors pour l’instant, je dois juste attendre, là, les pieds dans la neige, avec ma gamine qui insiste pour qu’on rentre à la maison. « Bientôt, je lui dis, on doit d’abord aller remplir quelques papiers et après on rentrera ; qui sait, si tu es sage, tu auras peut-être un autre cadeau en plus de ton « étoile de shérif » ». Mentir, ça prouve encore qu’il y a de l’espoir. Même si ce n'est pas tout a fait ce que j'espérais, le fait que nous soyons encore là, même dans la boue et le sang, est pour le moins inespérée ; il n'est jamais plus nécessaire que l'espoir, bien plus utile qu'un rien aussi bête que le néant. Au moins, y a-t-il de l'espoir lorsque il y a de la vie, ça rend ce néant ridicule. Comme s’il y avait une grande fête, et qu’il se pointe, sans être invité. Ça l’humilie, il est ridicule. Ces morts sont ridicules, ils n’ont rien à faire là. Ce n’est pas ce que j’espérais d’une nouvelle vie.

En y regardant de plus près, ils nous ont conduit jusqu’à une sorte de ville où cheminées et grillages sont monnaie courante, avec des lampadaires un peu partout, et des sortes de panneaux, comme nous défendant de piétiner la pelouse. Peut-être qu’ils ne nous veulent pas tant de mal que ça, peut-être que c’est Eleanor qui a raison, peut-être que c’est normal et peut-être que l’on a le droit d’espérer. Après tout, certains se sont déportés eux-mêmes, de leur plein gré, ça ne doit pas être si mal. D’un certain côté, on veut bien y croire, on a envie d’y croire. Tout n’est pas fini, je n’en suis qu’à ce quai boueux fait de pas qui ne sont pas les nôtres. Bien sur il ya quelques corps inertes. Et alors ? Ça ne veut rien dire, moi je suis vivante. Ce serait absurde de vouloir déporter tant de personnes à un seul endroit, d’un seul coup, d’une seule volonté et dans le seul but de tous les éliminer. C’est là que le mot de déporté, que l’on entend partout, prend tout son sens. Un voyageur remplit d’espoir, qui ne voit plus rien, qui ne sait plus rien, qui ne veut pas croire, ni même savoir, mais plein d’espoirs.

Les gens sont antipathiques. Éparpillés, affolés, recherchant un proche dans la foule, c'est à peine s'ils vous marchent dessus. Pour régler cette cacophonie, les SS sortent de leurs cachettes et ordonnent avec leurs bâtons fins de se mettre en rang, en deux colonnes : « filles-garçons, comme à l’école », dit-il sur le ton de la plaisanterie. Avec l’accent allemand qu’il faut, il nous explique que nous allons être diagnostiqués par différents médecins tout au long de notre route afin de « déterminer quels meilleurs traitements s’imposent à nous ».  Très vite, en 2-3 minutes on nous passe en revue, là bas, au bout de la file, où un vieillard en canne, miracle du train de l'agonie, est accompagné jusqu'au chemin de droite. Moi, je me trouve entre une vielle femme qui donne la main à une plus jeune, et Claudette, une amie d’enfance. Sur le coup, on a envie de lui demander « tiens, qu'est ce que tu fais là ?! » mais c'est pas comme si j'en avais le courage, ou même, tout simplement, l'envie, car je sais la réponse, c'est la même que la mienne. Je tiens toujours Eleanor dans la main droite et l’on commence à marcher ; le diagnostic médical se fait plus vite que je ne l’aurais cru. Personne ne parle, pas de cris, personne ne hurle, aucune agression auditive, rien, et c’est peut-être de là que vient l’angoisse, car, il faut le dire, nous avons peur, il y a anguille sous roche, même si la roche est si écrasante qu’elle fait apparaître, seul, un paysage serein et calme, un silence de mort. Au bout de quelques pas, la vieille femme devant moi trébuche, et reste, maladroite, dans la neige, commençant à se plaindre de ses vieux os, beuglant à l’aide ; je continue à marcher. Toujours, il faut toujours avancer, j'ai pas le choix, même si, en fin de compte, je l'ai, mais là, sur le moment, je n'ai pas à faire de choix. Les yeux portés vers le médecin, tirant mon manteau vers moi, dépoussiérant mon épaule du flanc de la main, je fais tout pour presser le pas, pour la dépasser, et aussi, surement, pour ne pas troubler la masse, pour ne pas me faire remarquer. Claudette fait pareil et ne regarde même pas la chère dame, à tel point qu’elle faillit lui marcher dessus ; grâce à elle, je ne rougis pas.

Je me retourne vite fait, mes yeux sont attirés par quelques lueurs; j’aimerais tant être à leur place ! Là dans ce porche, manteau chaud sous la main, une tasse dans l’autre, et une viennoiserie posée dans une assiette, sur un coin de table, et je regarderai ces gens avec une indifférence plus chaude encore que ma pitié. Rien qu’un croissant sorti du four parisien, à peine chaud, moelleux à la vue, se mâchant comme une pâte mousseuse, avec le beurre jaune dans les veines de ses oripeaux. J’ai si faim ; tellement que je ne dois plus y penser. J’arrive devant le médecin. Il est placé à trois mètres de moi, il a deux-trois languettes colorées sur sa poitrine gauche, et un bel aigle aux plumes grises sur la droite. Un beau ruban rouge-sang ligote son bras gauche comme du saucisson, deux épaulettes flottent comme de la pâte d’amande, et du haut de ses galons il me regarde de haut en bas, regarde la petite à coté, puis me baratine quelque chose. Va pour la gauche ! On suit la direction indiquée, comme des moutons qui ne s’en vont nulle part, dans un champ voisin avec plus de verdure, avec ce qui nous faut. Notre berger est derrière nous, devant, là où on ne le devine pas ; après tout, c’est aussi notre guide maintenant.

La route paraît longue à gauche, pénétrant dans le brouillard matinal jusqu’à ce qu’on n’en voit plus la sortie. Bien sur, il y a des barbelés tout autour de ce couloir de pierre, et quelques goutes de rosée sur les clous. On avance, les cris de bébés, la foule qui s’agite, les femmes qui parlent du beau temps sont derrière nous, et leurs voix s’étouffent au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans un sentier perdu, solitaire, où les familles ne parlent même plus, plus du tout. On y entend le grésillement presque mouchard du courant qui navigue sur le fer, et, si on de la chance, un courant d’air qui nous accompagne un tant soit peu vers ce sombre ciel sans étoiles, sans lunes, sans soleils qui est devant nous. Pas à pas, la seconde ralentit en une minute, le son étouffé de mes pieds, je marche néanmoins avec la douleur encore palpable de la mort, celle qui nous fait suffoquer, celle qui étouffe notre vital bonheur avec l’accompagnement du vide intérieur qui panique, en vain. Mais je continue, hurlant d’une terreur intérieure qui me dévore à l’idée seule de ne plus être du tout dans quelques minutes, l’instant d’après, pour toujours, l’éternité, je continue. Je serai pareille à ce silence qui, au gré des marches, des wagons, des jours, continue. Je n’existe déjà plus aux yeux des autres, de cette nature à la neutralité scandaleuse, de ce douillet village endormi dans le creux de son lit, je n’existe plus, je n’ai jamais existé, et je déposerai comme preuve de mon passage une herbe, fertilisée par l’étendue impersonnelle et impensable d’ossements caillés sous une terre qui vieillira de plusieurs générations. Plus j’avance, plus je pénètre dans l’horrible absurdité de ne pouvoir échapper à cet imbécile néant qui m’est destiné, je le sais déjà. Mais c’est comme la nourriture ça, c’est comme la faim, je ne dois pas y penser si je veux continuer.

Ça a duré une poignée de minutes, autant dire une certaine éternité. L’œuf de Pâques et moi arrivons devant un portail. Si on le franchit, il y a comme un bosquet, une étendue où quelques sapins font la réplique d’un parc. Il y a même un petit étang, et un chemin s’enfonce dans ladite forêt. Au bout, on y trouve un attroupement de femmes, vieilles et jeunes, ainsi que Claudette. Elle m’avait dépassé discrètement dans le couloir de fer.

- « On va s’décrasser là, dans ce chalet. »

Le chalet, c’en est encore un par le paysage. Mis à part ça, il est, comme tout ce qui a été bâti ici, en brique rouge. Très vite l’attroupement se transforme en mince ruisseau qui inonde l’intérieur du bâtiment ; une file indienne se dessine à l’entrée, je fais partie des dernières. C’est vrai que je suis pressée, je piétine derrière la queue en tenant ma fille, la trainant presque pour aller au bain. Lorsque je rentre, familles et amies nues, pratiquement toutes nues, n’attendent que moi, dévisageant les derniers comme des vers habillés de guenilles. Au fur et à mesure que je retire chaque couverture de mon corps, derniers barrages de ma nudité, je me dis qu’ici il faut être nue comme un vers ou ne pas être un vers du tout ; c’est en tout cas l’impression que ça me donne. Je me déshabille, là, devant tout ces gens, je mets à découvert ma pauvre peau blanche, et même ma fille me voit alors comme jamais je n’aurai cru qu’elle me verrait un jour, c’est impensable. Mais faut faire avec. C’est la première chose que j’ai enfin comprise ici : il faut faire avec, avec de la boue, avec de l’or, avec de la merde, avec du pus, avec du sang, avec eux.

Mon voisin a fini avant moi ; il a plié son pantalon par terre, de telle sorte que sa chemise carré soit bien présentable au dessus, sans oublier les chaussures de cuir qui surplombent le tout. J’aide Eleanor sous les yeux de tous, sous des yeux pressés de voir une nouvelle ville, un nouveau village après tout cela. La Douche est donc une sorte de rideau levé sur la scène .Le spectacle qui s’ensuivra n’en sera que plus beau et vrai ; un soleil, un lit avec des draps, une tasse chaude le matin, le balai qui danse en sifflotant, Nathan et Eleanor qui crient toute la journée, Moi qui fait la bouillie, Lui qui travaille et rentre avec ses baisers continuels, le soleil qui se couche, la satisfaction que l’on sait qu’il reviendra, que ça recommencera, une journée banale, une journée si belle.

Belle, peut-être comme cette blonde à la porte. Elle a des vagues d’or dans ses cheveux, une tignasse bien coupée, bien laquée. Elle porte un manteau noir de cuir, comme les autres militaires, avec un chemisier blanc en dessous. De toute évidence, elle a des bottes, elle est propre sur elle, elle se protège des saletés. Du haut de sa silhouette allongée, je pense qu’elle est plus jeune que moi, beaucoup plus jeune, dans la vingtaine d’années à peine. Aucune médaille sur elle, pas d’épaulettes, elle n’en a pas besoin, ses épaules sont aussi droites que difformes. Ce n’est pas normal pour une femme, elle n’est pas une femme, seulement eine Frau avant-gardiste du Reich Allemand. Il faut lui reconnaître ça à la jeune, elle est libre de force ; son visage n’est pas tiré par les ordres, il est tout simplement carré et plat, sans aucun relief, aucun détail creusé, aucune bosse avantageuse, rien de tout cela. Elle a seulement le majestueux aigle gris, empaillé sur le sein droit avec l’étiquette de son nom : Irma Grese sourit à tout le monde, elle serre la main aux gens et leur souhaite la bienvenue ; je crois même l’avoir vue se pencher pour biser une enfant. En fait, les gens s’installent dans la pièce suivante ; c’est une boîte faite de quatre murs de béton où l’on est censé se laver, dans les moyens rudimentaires mais pardonnables par le sourire d’Irma. Les murs sont rêches et ils se décomposent, comme de la rouille, comme si l’eau avait coulée des heures sur les murs ; cette douche me fera du bien. La jeune au manteau noir ne manque pas de m’accueillir. Comme je suis la dernière, elle s’attarde un moment pour nous sourire. Eleanor m’attrape par le bras :
-On va au bain maman ?

Irma s’abaisse à sa hauteur. De son visage carré, elle colle sa joue contre celle de ma petite, puis lui dit avec l’accent qu’il faut :
-Tu n’as pas à avoir peur ; après t’être lavée, tu pourras aller jouer avec les autres enfants avec le savon qui restera. Tu aimerais ?
Eleanor, ne dit mot, et enfin, Irma se lève, me regarde le visage légèrement tournée vers la gauche :
- Bonne douche ! Bienvenue chez vous.

Je rentre. Derrière moi se ferme la porte avec sa voix qui fait écho dans ma tête. Un cliquetis de verrouillage se fait entendre. Plus personne ne parle, plus personne ne bouge, plus personne dans l’obscurité je ne vois. J’ai peur, je ne sais plus, je serre la main d’Eleanor ; il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de lumière, il n’y a rien.
Deux trous s’ouvrent précipitamment au plafond.

Kévin Jollivet

22 mai 2010

Shoah

S'échappant d'une cheminée, une fumée,
  et c'est tout ce qui reste d'une vie passée.
Hommes d'une hégémonie détrônée
Oubliant un être humain pour des illusions égarées.
Aurore de la mort, même après tant d'années ;
L'Humilité et la dignité, c'est tout ce qui nous est resté..

                                  mais des milliers de vies arrachées-

Poème de Gabrielle.

18 mai 2010

Le miroir de la mort

On retraçait le passage de tous ces déportés; on marchait dans leur souffle et on sillonnait dans l'ombre de leurs pas, à la recherche d'un souvenir, d'une parcelle de mémoire, ou d'un semblant d'âme isolé sur le point d'être oublié...

Orianne

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9 mai 2010

"Génocide", musique de Rozenn Le Ridou

8 mai 2010

La traque des Juifs : Ancenis, dernier domicile connu.

                                                     etoile

Deux cas nous ont particulièrement intéressés et nous pouvons évoquer leur dernier parcours avant la déportation grâce aux archives départementales (série 1694 W).

Salli Rewizorski :

        Salli Rewizorski naît le 13 avril 1902 à Lodz en Pologne. Il est le fils de Léon Rewizorski et de Golda Zinberg

        Salli fuit la Pologne des pogroms (nombreux au moment de la guerre russo-polonaise en 1919-21) et de la discrimination économique – les Juifs sont exclus des emplois publics en 1930.

        Il arrive en France à 24 ans en 1926, et il s’installe à Strasbourg où prospère une importante communauté juive.

        La guerre lui fait reprendre la route. Il part vers l’Ouest car dès le 3 septembre1939 le gouvernement français a fait évacuer une partie de la ville. Le retour à Strasbourg sera de toute façon impossible car après l’armistice du 22 juin 1940 les Allemands refusent la réinstallation des juifs et la synagogue est incendiée.

         En octobre 1940 les Juifs de Loire Inférieure doivent se faire recenser et il nous retrouvons Salli, grâce au recensement de la préfecture, installé à Nantes comme commerçant en bonneterie-confections au 4 bis, rue des Dervallières (quartier situé au NO de Nantes)P1010735

L’aryanisation des entreprises juives s’effectue de façon rapide et le petit commerce de Salli, qui est répertorié comme étant sans « intérêt économique », est liquidé le 12 juillet 1941 par un gérant nommé pour cela.

        Salli fuit de nouveau. Désormais sans magasin, il tente de survivre en poursuivant une activité commerçante itinérante (probablement sur les marchés).P1010789

       Il est arrêté à Ancenis où il réside à l’hôtel de la gare le 15 juillet 1942 lors de la première grande rafle qui touche la région. Le gendarme qui est chargé de la « surveillance des Juifs » écrit au préfet que Rewizorski «  a été arrêté par les autorités d’occupation il y a une quinzaine de jours environ »

      Il est déporté par le convoi n°8 parti d’Angers vers Auschwitz le 20 juillet 1942.

      Il décède à Auschwitz le 29 août 1942. Il avait 40 ans.

Ce convoi comportait 827 déportés dont 14 seulement étaient survivants en 1945.

Chana Dutkiewicz épouse Zylberberg :

       Chana est née le 28 juillet 1906 à Tomaszow (ou Tomasz) en Pologne. Elle est la fille d’Abraham Dutkiewicz et d’Esther Fischer.

On ignore à quelle date elle a quitté la Pologne, mais son départ a du être précoce (comme pour Salli) car elle parle couramment français.

       Nous la retrouvons sur les listes du recensement des juifs de Nantes. Madame Zylberberg est propriétaire d’une boutique de bonneterie « Le stand des fabricants » située 28 rue du Marchix  au centre de la ville. Est-elle veuve ?

       Les entreprises juives doivent désormais être gérées par des non-juifs : c’est l’aryanisation, le « désenjuivement » des entreprises. La modeste boutique est confiée à un nouveau gérant qui se charge de la liquidation : « la maison est fermée-manque d’intérêt économique ».P1010776

La boutique est vendue le 12 juillet 1941.

Chana se retrouve sans ressource.

       Elle s’installe à Ancenis en décembre 1940 au 27 de la rue Emilien Maillard. D’autres membres de sa famille ( ?) un couple Zylberberg habite au n°6 de la rue du général Hagron à Ancenis.

      Les Juifs n’ont plus les moyens de vivre décemment. La préfecture se charge de vérifier leurs moyens de survie. Leur statut s’aggrave encore et ils ne peuvent plus se déplacer librement.

      Mme Zylberberg est traquée et elle essaie de se cacher.P1010784

     Elle est interpellée par la police française en février 1942 (voir le rapport du commissaire au préfet). Elle est arrêtée à l’hôtel Lapérouse à Nantes pour usage d’une fausse identité : « elle s’était fait inscrire sous le faux nom de Blanchet Marie ». Elle est également en contravention parce qu’elle change de domicile sans le déclarer : « elle a avoué qu’elle se rend même à Saint-Nazaire pour servir d’interprète à un Turc qui est marchand forain ».

Elle reconnaît revenir à Nantes « pour faire des achats » mais la police n’y croit pas ; elle tombe là encore sous le coup de la loi pour commerce illicite.

Mais finalement le Parquet la laisse en liberté provisoire…

      Le 6 juin 1942 elle porte l’étoile jaune.

      Le 20 juin 1942 elle quitte Ancenis « pour se rendre à Paris, sans autre indication » (rapport de la gendarmerie d’Ancenis).

      Elle est probablement arrêtée à Paris (Rafle du Vel’d’Hiv’ ?)

      Elle est déportée par le convoi n°7 parti de Drancy le 19 juillet 1942 en direction d’Auschwitz.

Elle meurt à Auschwitz le 1er septembre 1942 à l’âge de 36 ans

Ce convoi comportait 999 déportés dont 16 seulement étaient survivants en 1945.

        

Le couple Zylberberg de la rue Hagron semble avoir échappé aux rafles car la gendarmerie d’Ancenis indique  qu’« ils ont quitté leur domicile le 24 juillet 1942 pour une destination inconnue ». On ne les retrouve pas sur les listes de déportés.

Audrey Joubard et Catherine Gadeau

7 mai 2010

Les femmes déportées

Extraits tirés du roman de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows,  Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, aux éditions Nil. Le premier extrait se situe pages 266 à 268, il traite des conditions de vie à Ravensbrück. Tandis que le second, page 364 et 365, expose le problème de la mémoire en France juste après la guerre.

« Lettre reçue à Guernesey le 12 juin 1946

Le bloc 11 contenait près de quatre cents femmes. Devant chaque baraque se trouvait un chemin cendré où avait lieu l’appel, deux fois par jour. Une fois à cinq heures trente du matin, et encore le soir, après le travail. Toutes les femmes devaient former des carrés de cent – dix rangs de dix femmes. Les carrés s’étendaient si loin sur notre droite et sur notre gauche que leur extrémité se perdait dans le brouillard.

Nos couchettes étaient posées sur des planches de bois, comme des étagères. Il y avait trois lits par colonne. Nous dormions sur des paillasses puantes et pleines de puces et de poux. De gros rats jaunes couraient à nos pieds, le soir tombé. C’était une bonne chose : nos kapos détestaient les rats et la puanteur, alors elles nous laissaient en paix, la nuit. […]

Il y avait plusieurs canalisations d’où s’écoulait de l’eau froide pour nous laver. Une

fois par semaine, on nous emmenait prendre une douche avec un morceau de savon. C’était indispensable pour nous, car la chose que nous craignions le plus était d’être sales et de pourrir. Nous avions peur de tomber malades et de ne plus pouvoir travailler. Alors nous ne serions plus utiles aux Allemands, et ils nous abattraient.

Elizabeth et moi marchions avec notre groupe, chaque matin à six heures, pour gagner l’usine Siemens. Elle se trouvait en dehors de l’enceinte de la prison. Une fois là, nous poussions des chariots jusqu’à la voie de garage des trains et déchargions dessus de lourdes plaques de métal. On nous donnait de la pâte de blé et des petits pois à midi, puis nous retournions au camp pour l’appel de six heures de soir et dînions d’une soupe de navets. […]

Les cellules du bunker étaient minuscules. Un jour, pendant qu’Elizabeth était là-bas, un garde a ouvert les portes de tous les cachots et a orienté des jets d’eau à haute pression sur les prisonniers. La force de l’eau a plaqué Elizabeth par terre, mais elle a eu de la chance, l’eau n’a pas mouillé sa couverture. Au bout d’un moment, elle a réussi à se lever et à aller s’allonger dessous jusqu’à ce qu’elle arrête de trembler. La jeune femme enceinte de la cellule d’à côté n’a pas eu cette chance. Elle est morte pendant la nuit. On l’a retrouvée par terre, gelée. […]

Souvent, après plusieurs mois passés au camp, la plupart des femmes n’avaient plus leurs menstruations. Mais pas toutes. Les médecins du camp n’avaient rien prévu pour l’hygiène des prisonnières durant ces périodes – ni chiffons, ni serviettes périodiques, ni savon. Les femmes réglées devaient laisser le sang couler entre leurs jambes. Les kapos aimaient ça, ce sang si obscène leur offrait le prétexte de crier et de frapper. »

(de Rémy Giraud, enfermée à Ravensbrück)

« De Juliet à Sophie

29 août 1946

Chère Sophie,

Je me demande si Remy n’a pas le mal du pays. Peut-être qu’elle aimerait rentrer chez elle à présent ? J’ai lu un article d’une certaine Giselle Pelletier, ancienne prisonnière politique, détenue à Ravensbrück pendant cinq ans. Elle explique combien il est dur de reprendre le cours de son existence quand on a survécu aux camps. Personne en France ne peut comprendre, ni ne veut savoir, ce que vous avez enduré là-bas. Ni vos amis ni votre famille. Ils pensent tous que, plus vite vous aurez oublié, mieux ce sera pour vous, et pour eux (ils n’auront plus besoin de vous écouter en parler).

D’après Miss pelletier, l’important n’est pas tant d’en parler dans les détails que de dire que c’est arrivé, et qu’on ne peut l’ignorer. La France semble crier : « Mettons tout cela derrière nous. La guerre, Vichy, la Milice, Drancy, les juifs. C’est du passé maintenant. Après tout, chacun de nous a souffert, vous n’êtes pas les seuls. » Face à l’amnésie institutionnalisée, écrit-elle, parler avec d’autres survivants est l’unique moyen de s’en sortir. Ils savent. Ils peuvent entendre et vous pouvez les écouter. Ils se révoltent, ils pleurent, ils racontent des moments tragiques, d’autres absurdes. Il leur arrive même de rire. Le soulagement est immense, dit-elle. »

Marie-Océane

7 mai 2010

Histoire et Mémoires de la seconde guerre mondiale et de la Shoah

            Au lendemain de la seconde guerre mondiale sont révélées des atrocités encore impensables dans un 20ème siècle fragile.  Les camps de concentration sont ouverts et le monde découvre l'horreur nazie. Des souvenirs, des mémoires, et des points de vue différents fleurissent, au bord des ruines, sur le chemin du renouveau. La pluralité et la diversité des mémoires permettent des interprétations parfois contradictoires...

            

            Citons, tout d'abord la mémoire gaulliste, une mémoire qui s'est instaurée autour du général de Gaulle dès juin 44. Cette mémoire officielle souligne l'ampleur de la Résistance française pendant l'Occupation. En témoigne, par exemple, le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon le 19 décembre 1964. Lors de la cérémonie, André Malraux, ministre de Culture à l'époque, affirma, s'adressant aux jeunes Français : « Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé : ce jour là, elle était le visage de la France » Ici est fait l'éloge du résistant modèle. Cependant la collaboration et la participation de l'Etat français au génocide sont occultées dans cette mémoire officielle.

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            Mur des victimes à Auschwitz Birkenau : La mémoire survit à travers, les visages et les noms des victimes...

            Après la guerre, on observe aussi l'émergence d'une mémoire communiste. Malgré une situation ambiguë dans les années 1930 et surtout au début de la guerre (le  parti communiste français était alors rattaché à Moscou ; l’URSS et l'Allemagne se lient en septembre 1939  par le pacte germano-soviétique), la situation est clarifiée après que Hitler attaqua l'URSS (opération Barbarossa en 1941). L'armée rouge fait face à la Wehrmacht sur le front de l'Est et les communistes français entrent dans la Résistance. Le parti communiste français est vite surnommé « le parti des 75 000 fusillés ». Cette mémoire jouit, à l'instar de la mémoire gaulliste, de ses propres symboles : le martyr de Guy Môquet par exemple.

            Une troisième mémoire s'impose tardivement : la mémoire juive. En effet, au départ, le traumatisme enferme les Juifs dans le silence. Puis petit à petit les survivants expriment leur besoin de témoigner. Claude Lanzmann réalise « Shoah » (en hébreu « désastre ou catastrophe»), un film sorti en 1985 qui rassemble des témoignages de Juifs quant à leur expérience dans les camps de la mort. Claude Lanzmann parvient même à interroger un tortionnaire. Les témoignages (des victimes et des bourreaux) convergent vers un même point : la Shoah  est une réalité incontestable.  Le procès Eichmann (responsable nazi de la logistique de la « solution finale ») en 1961 à Jérusalem est un autre exemple de cette volonté de mémoire et de justice qui naît dans l'esprit de la communauté internationale.

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            Madame Ginette Kolinka, survivante de Birkenau,  face à une photographie exposée dans un baraquement d'Auschwitz I : la mémoire subsiste à travers les témoignages...

            Certaines interprétations de la Shoah donnent naissance à des interprétations dangereuses.  Les négationnistes, qui se font d’abord appelés « révisionnistes » ont cherché à modifier la vision que l'on a de la Shoah. Ces pseudo-historiens nient l'existence des chambres à gaz dans les camps de la mort « comme moyen de la solution finale ». Ils remettent ainsi en cause la véracité des témoignages. Les  négationnistes furent d'abord des professeurs (d'histoire et de lettres) qui, dans des universités comme celles de Lyon ou Nantes, enseignèrent à leurs élèves leurs théories. [En réalité, ces nouvelles thèses ne résultent que d'une idéologie néo-antisémite qui s'enracine obstinément dans le très vieux mythe du complot juif.]  Il faut empêcher ces interprétations erronées de se propager et rechercher la vérité, si difficile soit-elle à appréhender, grâce à un véritable travail d’historien : recueil de témoignages, croisés avec les sources encore disponibles, enquêtes  etc. Ainsi le devoir d’histoire s’impose pour contrer le négationnisme.

            Les discours de Jacques Chirac et Lionel Jospin, lors de la commémoration de la rafle du Vel'd'Hiv le 16 Juillet 1995, marquent une rupture dans la position de la France face à sa mémoire de la Shoah. Pour bien comprendre, rappelons-nous la mémoire officielle imposée par le Général de Gaulle (éloge d'une France résistante ; oubli de la collaboration ; amnistie de collaborateurs...) Ces mesures témoignent d'une France qui veut tourner la page et revivre. Ainsi, lorsque Jacques Chirac, à l'occasion de la commémoration de la rafle du Vel'd'Hiv reconnaît la participation de l'Etat français dans le génocide juif, la position de la France face à sa responsabilité change radicalement. Une volonté de justice s'affirme : le président français promet d'indemniser les Juifs. Cette rupture marque donc une nouvelle période de mémoire et de justice.

                                                             MemorialDeLaShoah


Monument au souvenir des victimes juives au Mémorial de la Shoah à Paris. L'inscription en hébreu sur le mur est extraite de la Bible ; elle signifie : « Regardez et voyez s'il est douleur pareille à ma douleur. Jeunes et vieux, nos fils et nos filles fauchés par le glaive » La mémoire persiste à travers nos esprits ouverts et tolérants...

            Aujourd'hui, visitons le mémorial de la Shoah à Paris

            Aujourd'hui, renseignons-nous ! Voyons des films comme Nuit et brouillard (d’Alain Resnais), Shoah (de Lanzmann ), La rafle ( de Roselyne Bosch )... autant de films qui cherchent à montrer de façon différente

            Aujourd'hui, lisons les témoignages. Lisons Si c'est un homme ( de Primo Levi ), Dites-le à vos enfants, Histoire de la Shoah en Europe ( de S. Bruchfeld et Paul A. Lévine )

            Aujourd'hui, écoutons les témoins (merci à André Gaillard, Charles et Arlette Testyler et Ginette Kolinka)

            Aujourd'hui, comprenons les Israéliens qui s'immobilisent et observent deux minutes de silence au souvenir des victimes de la Shoah tous les 12 Avril.

            Aujourd'hui, refusons le silence, refusons le négationnisme, réclamons la vérité.

            

            Et demain, racontons à nos enfants, transmettons-leur le flambeau du souvenir (précieusement confié par d'irremplaçables témoins) pour que la mémoire triomphe toujours sur l'ignorance, sur les falsificateurs de l'Histoire et sur l'intolérance !

            Ainsi les mémoires de la seconde guerre mondiale sont diverses et même parfois opposées. Histoire et Mémoire, souvent, ne s'accordent pas. Il est à nous, esprits curieux et désireux de savoir, de réconcilier Mnémosyne et Clio...

Henri Fruneau

3 mai 2010

Max (1874-1944) et Sarah (1880-1941) : biographies

Nous les avons découverts par hasard aux ADLA.

Max Bernard  habite Ancenis, 47 rue Saint Paul (ruelle jouxtant l’église Saint Pierre d’Ancenis)

Il est né à Dieuze (Moselle) en Lorraine le 23/1/1874 à une époque où Dieuze est devenue une commune allemande. C’est le fils de Lyon Bernard et de Mathilde Liebschütz. dieuze_la_synagogueLa communauté juive de Dieuze est suffisamment importante pour que l’on y construise une synagogue (voir photo)

Le rattachement des départements de la Moselle, du Bas et du Haut-Rhin, à l’Empire allemand date de 1871 (Traité de Francfort). En 1872 les Alsaciens-Lorrains ont dû opter pour la nationalité française, et donc s’installer en France lorsqu’ils désiraient rester Français.

Quel choix a fait sa famille ? Quel choix a t-il fait et quand ?

Les archives de Moselle conservent deux dossiers sur la détermination de nationalité entre 1871 et 1889 (qu’il faudrait consulter sur place car ils ne sont pas en ligne).

Max se dit Français depuis plusieurs générations (voir la fiche qu’il envoie au préfet)…et il a participé à 40 ans à la Grande guerre pendant cinq campagnes. Il est décoré et fait « chevalier de la Légion d’honneur-classe 1894 » (les archives de la Légion d’honneur en ligne sont incomplètes ; celles que nous avons pu consulter ne le mentionnent pas).P1010749

Il est retraité. Nous ignorons sa profession.

L’Etat-civil d’Ancenis mentionne son décès «  Le seize avril mil neuf cent quarante quatre, deux heures est décédé boulevard Pasteur : Marx Bernard, sans profession, domicilié à Ancenis, rue Saint Paul… » L’adresse est probablement celle de l’hôpital d’Ancenis. On peut soupçonner les conditions de dénuement et de solitude de Max Bernard car le décès est déclaré par Jean Audfray, secrétaire du bureau de Bienfaisance d’Ancenis. Le maire d’Ancenis, le docteur Georges Bousseau qui signe l’acte, mentionne lui aussi sa décoration « Chevalier de la Légion d’honneur ».

Sarah Lévy : Epouse Bernard, habite avec son époux 47 rue Saint Paul à Ancenis(voir photo).rue_saint_paul_Ancenis0001

Elle est  née à Dannemarie (Haut Rhin) en Alsace le 16/7/1880, commune alsacienne alors allemande. C’est la fille de Marc Lévy et d’Henriette Sommer.

Sans profession

L’Etat-civil d’Ancenis mentionne son décès « Le treize octobre mil neuf cent quarante et un, quinze heures trente minutes ; est décédée en son domicile 47 rue Saint Paul : Sarah Lévy, sans profession.. ». L’acte est dressé « sur déclaration du mari de la défunte ; soixante sept ans, retraité à Ancenis » et il est signé par le maire d’Ancenis, le docteur Georges Bousseau sans autre ajout.

Les époux Bernard, Anceniens de fraîche date …

Ils ne sont pas mentionnés dans la liste du recensement d’Ancenis de 1931.

Quand se sont-ils réfugiés sur les bords de Loire ? Dès 1939 ?

D’où viennent-ils ? D’Alsace-Lorraine ? D’ailleurs en France? Après la défaite française de 1940, les départements d’Alsace-Moselle sont annexés « de fait » au Reich et sont incorporés dans le Gau Westmark. Les habitants sont évacués par les Français en 1939 tandis que ceux qui restaient sont expulsés, en novembre 1940, par l’armée allemande…

Les Bernard ont-ils acheté cette maison ?

La succession de Max Bernard est mentionnée dans «  La table alphabétique des successions et des absences » (ADLA 1942-1947).Le renvoi de l’inventaire en 1945 mentionne 70 000frs ( ?) de mobilier.

Dès le 28 octobre 1940, Max Bernard se signale au préfet « J’ai l’honneur de vous informer que ma femme et moi sommes de religion juive mais de familles françaises depuis plusieurs siècles » (ADLA 1694 W art 21).

La réponse du préfet est sans appel : sa qualité de citoyen français ne le protège pas, pas plus qu’avoir été un bon patriote et un valeureux soldat. P1010734Les services du préfet apposent le tampon « Juif » sur sa fiche et il est officiellement recensé (voir photo).

En 1942 l’adjudant M. de la section d’Ancenis dans sa lettre au chef d’escadron de gendarmerie de Nantes du 27 juillet confirme que Max Bernard, veuf, porte «  l’insigne » (ADLA 1694 W 25). Cet homme âgé, obligé à la plus grande discrétion, est soudain devenu« visible », désigné comme Juif. Le port de l’étoile jaune s’accompagne, selon l’ordonnance du 7 juin 1942, de l’interdiction d’accéder aux principaux lieux publics (interdiction d’entrer au cinéma etc.). Les Anceniens, qui pouvaient imaginer qu’ils n’étaient pas concernés par la traque des Juifs, sont soudain confrontés à cette réalité…cette visibilité a pu entraîner de la gêne, du rejet, et sans doute aussi des sympathies.

Nous n’avons trouvé aucun témoignage !

Les époux Bernard n’ont pas été déportés. Max Bernard n’a pas été arrêté au moment des dernières rafles au début de l’année 1944 et il est décédé à Ancenis de mort naturelle.

Ont-ils été protégés ?

Le dernier rapport de l’adjudant M.qui donne des détails sur les Juifs d’Ancenis est par ailleurs très troublant (ADLA). Il s’agit  d’une réponse à la lettre du préfet datée du 21 juillet 1942 ayant pour objet « la surveillance des Juifs ». Le rapport  a été rédigé « d’après les renseignements recueillis dans les mairies des communes de la section ». Or cette lettre est truffée d’erreurs, c’est le cas par exemple de l’adresse de Max : « Il résulte qu’il n’y a actuellement résidant sur le territoire de la section que le juif : BERNARD Max. Cet israélite réside n°7 rue St-Paul à Ancenis ». Ces erreurs émanant de la mairie, mais curieusement non vérifiées ensuite, sont peut-être volontaires… Des renseignements erronés ne facilitaient pas une arrestation !

Armand COTRON et Catherine GADEAU

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